
Artiste associée aux Théâtre de Saint-Malo 2024 à 2026
Artiste associé au Théâtre 14 de 2020 à 2023.
La Compagnie était en compagnonnage avec les Ateliers contemporains de Claude Régy de 2013 à 2018.
SPIRITUEUX

CRÉATION NOVEMBRE 25
​1h15
Dès 13 ans
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TEXTE et JEU
LAURENT CAZANAVE
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MISE EN SCÈNE : AUDREY BERTRAND, LAURENT CAZANAVE
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CHORÉGRAPHIE:
CAROLINE JAUBERT
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SCÈNOGRAPHIE et CRÉATION LUMIÈRE
JULIETTE CHAPUIS
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CRÉATION SONORE
MICHAËL POTHLICHET
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COSTUME
CHANN AGLAT
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COLLABORATION ARTISTIQUE:
ÉRIC DIDRY
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CHARGÉE DE PRODUCTION:
SOPHIE LEPRIZÉ
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PRODUCTION: LA PASSÉE
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COPRODUCTION:​ Espace Bernard Marie Koltès / Metz, Théâtre de Suresnes Jean Vilar, Théâtre aux croisements / Perpignan.
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Le spectacle a éte acceuilli en résidence aux Théâtres de Saint-Malo
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SOUTIENTS: Théâtre des 3T, Le SEL / Sèvres (espace Loisirs), Ville de Saint-Lunaire, Ville de Sèvres, Ville de Boulogne-Billancourt.
Juste
Une pinte,
En terrasse
Comme chaque fois
Ce soir
Fêter le départ de Camelia et Medhi qui vont faire le
Tour du monde
Dernière grosse fête chez eux.
Entre potes
Sonia mon ex-femme sera là.
Pas grave
Après.
Plus rien.
Black-out
Dernier souvenir
Maintenant
Retrouver le fil
De la soirée
Se souvenir.
Jeu à boire
Whisky
Une voiture
Bière
Sonia
Vodka
Julie
Vin blanc
Pour le meilleur
Pour le pire..
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Note d'intention
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Trinquer, boire à la santé de, boire un verre pour discuter, fêter un
anniversaire, un pot de départ, une victoire, une défaite, boire pour célébrer,
boire pour oublier, boire pour s’amuser, pour être ensemble...
L’alcool est omniprésent dans notre société. Dans une recherche perpétuelle de joie, ma génération a trouvé du sens dans la fête et par conséquent dans l’alcool. L’alcool comme désinhibiteur, briseur de frontières, donneur de confiance, nous lui attribuons beaucoup de dons et le questionnons peu. Pendant le Covid nous étions beaucoup, moi en tête, à regretter la fermeture des bars. J’étais chez moi à organiser coûte que coûte des apéros Zoom.
Rempart contre la solitude ?
Le verre nous renvoie à notre rapport sociétal, notre rapport à autrui.
Au même moment ma vie s’écroule. Ma femme me quitte, plus de travail et à 30 ans j’ai besoin d’aide pour passer ces épreuves, me changer les idées.
On me répète : « profite, mais profite de la vie. »
Mais qu’est-ce que cela signifie profiter ?
Je le vois autour de moi, dans les films, la solution est là : sortir, boire, beaucoup, faire la fête, boire. Beaucoup. Beaucoup trop. Jamais seul. Mon excuse. Nous sommes nombreux et toujours dans un cadre festif. Certains ont fini à l’hôpital, d’autres en cure, d’autres encore après avoir tout oublié de leur soirée, ont appris qu’ils avaient commis l’inadmissible. Jusqu’où sommes-nous capables d’aller et surtout pour quoi ?
Et un jour au bout de deux ans, observant mon corps changer, mes habitudes se modifier je dis STOP ! Je ne veux pas. Je ne veux pas que l’alcool prennent cette place si importante dans ma vie. Pourtant partout autour de moi personne ne voit de problème. Je ne peux pas être alcoolique, je ne représente pas la figure que l’on se fait de l’alcoolique.
Y’a-t-il réellement aujourd’hui une figure, un emblème ?
C’est uniquement dans un cadre festif, je ne dois pas m’inquiéter. Pourtant c’est ici, que tout se joue, miroir de moi-même, miroir sociétal, l’alcool me permet de surmonter mes peurs et d’endosser un masque sociétal autre, plus plaisant sans doute ?
Il est ici question de l’alcool mais aussi et surtout de la
trajectoire humaine et sensible d’un jeune homme de 35 ans qui se débat
entre son intériorité et ce qu’il doit ou ne doit pas exprimer.
Quel comportement j’adopte en collectivité ?
Comment je pense mes relations à autrui ?
Comment je construis mes relations amoureuses ?
Quelles traces me laissent-t-elles ?
Et si finalement faire la fête et boire m’offraient la possibilité de ne jamais répondre à ces questions, et surtout de ne jamais y réfléchir ?
Au même moment ma vie professionnelle est complexe, acteur actif et chanceux, je décide de faire de la mise en scène, et comme les étiquettes ont la peau dure, pour beaucoup je ne suis plus acteur et plus personne ne m’embauche...
Cela me rend fou !
Je suis un acteur et je veux jouer !
J’ai besoin de jouer !
Moi, au plateau seul.
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Un sujet, commun à tous, trivial, rapportant la vie dans ce qu’elle a de plus beau mais aussi de plus tragique, un sujet sur lequel tout le monde a son avis. Face à l’alcool on est seul dans notre corps, dans nos sensations, dans nos pensées. L’alcool même en groupe isole, rend con, impulsif, sans limite.
Cette thématique n’est pas anodine, elle est partout dans la sphère médiatique.
L’affaire Pierre Palmade
Artus, « chiant » d’après Léa Salamé car il ne boit plus
Jérémy Ferrari, Tom Holland, Camille Lelouch
Tous se confient sur leur alcoolisme.
Le dry January,
79% des 15 à 21 ans voient des pubs sur l’alcool tous les jours
Mais aussi plus proche de moi, Laure qui a du mal à arrêter de boire pendant sa grossesse...
L’alcool est partout. Dans toutes le bouches. Et toujours cette excuse qui résonne entre deux gorgées de bière : « Heureusement la dépendance j’en suis loin, ce n’est pas moi ». Cette prise de conscience est un déclic. Je dois regarder l’alcool dans les yeux, ne plus, ne pas fuir. L’affronter seul, pour le comprendre, le représenter le mieux possible, ne plus se cacher derrière le groupe.
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Le solo est né. Il est nécessaire.
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Mais Comment en faire « spectacle » ?
Qu’est-ce que je ressens quand je suis ivre ?
Qu’est-ce que les autres perçoivent de moi ?
Comment sortir du cliché ?
Comment trouver la justesse de cet état, qu’il soit intérieur, ressenti par le
personnage, ou extérieur et donc perçu par les spectateurs. ?
Qu’est-ce que l’on peut, que l’on doit montrer ?
Comment ne pas être consensuel ?
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Il y a d’abord un texte . Une Histoire. Réelle ou fictive. Toujours entre les deux. Un homme de 35 ans pour qui apparemment tout va bien va oublier sa soirée de la veille. Habitude chez lui. Entre scènes de joie et tragédie il va la reconstituer.
Un texte. Écrit pour la scène, pour un corps et une voix. Moi. Mon écriture est un flot de mot, un raz de marrée parfois d’où s’extirpe une question, une phrase, une liste comme une bouée pour l’être.
Pour moi plus que le “dire” c’est ce qui se passe dans nos têtes, dans notre pensée, dans notre intime qui est le plus important, le plus vrai. On se ment moins à soi-même. Mon écriture navigue entre ce que l’on accepte de laisser entendre et ce que l’on veut taire. Le public lui sait tout , il a accès à tout.
Le texte peut paraitre bavard, mais le plateau fera les choix :
Qu’est ce qui doit être dit ?
Qu’est ce que le corps doit prendre en charge ?
Qu’est ce qui doit être tu pour mieux resonner ?
Je m’inspire beaucoup des écritures de Shakespeare pour sa violence et pour sa force à mettre l’immense et l’intime face à face . La tragédie antique pour le rôle du chœur parole omnisciente et plurielle, voix du groupe. Pascal Rambert pour ce vomissement de mot et Pauline Peyrade pour la simplicité et la beauté du quotidien.
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Puis il y a un acteur au plateau , moi , seul. Entre farce sociétale et tragique intime, la direction d’acteur devra toujours être sur le fil : à deux doigts de tomber, de fêter, de pleurer mais toujours en train de vivre. Comme sous alcool les émotions doivent être à fleurs de peaux. Audrey Bertrand sera la co-métteuse en scène du projet . Au plateau je ne veux être qu’acteur, pas être exterieur, plonger totalement . C’est necessaire. Elle me connais par cœur. Connais mes facilités d’acteur, mes doutes mes craintes. Elle saura m’emmener au plus droit, au plus pur.
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Il y a aussi un corps.
L’alcool pose la question du corps. Le notre.
Son changement.
Sa representation.
Sa survie.
Celui des autres.
Je ne suis pas danseur, je suis un acteur physique. Je crois beaucoup au mouvement, à la physicalité au plateau.Pour Spiritueux il sera question de mouvement et de danse, de traverser les états, les sensations, les mouvements, les respirations, les apnées, les mécanismes d’un corps traversé par l’alcool. Il nous faut plonger dans cette ivresse, en faire ressortir une matière, des formes, un personnage, afin d'être au plus proche, au plus juste, sans les artifices de cette dépendance… Écrire le mouvement, chorégraphier l’alcoolisme. Ici la parole s’effacera pour laisser place au corps, aux mots du corps, libérer le mouvement, écrire, chorégraphier l’alcoolisme (alcoolisé le corps reprend ses droits il essaye de survivre en troublant la parole) …
Caroline Jaubert complice de toujours, danseuse et chorégraphe m’emmènera
dans ces états. Les temps chorégraphiques nous permettent une respiration nécessaire dans cette logorrhée verbale écrite et scandée. Il faut le temps de réfléchir, de laisser le temps à la rêverie, à la pensée du spectateur.ice, et montrer à la fois la brutalité et la légèreté du corps. Cet état d’ébriété représente le paradoxe humain vivant dans notre société, entre lourdeur et joie, tout cela reste flou et nébuleux.
Sur ce personnage, pèsent des doutes, ses vêtements et sa migraine. Comme attiré vers le sol, il faut pourtant réussir à se tenir droit face aux autres, même imbibé de fatigue. Il faut garder la face et rester présentable devant les autres. Il est étouffé concrètement par son col, noué des pieds à la tête comme contraint par son propre corps.
Comment se défaire de ses propres tissus quand ils nous en empêchent ? Le costume crée par Chann Aglat imposera cela.
La contrainte ne se joue pas elle se vit.
L’humide, le trouble, notre rapport à autrui, notre place d’individu dans cette société qui va toujours plus vite, notre rapport à l’amour et la construction sociale qu’il impose seront nos thèmes de recherche et de vigilance.
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L’alcool : une atmosphère à part.
Les moments d’ébriété sont souvent pour nous dans des endroits sombres ou lumières et ombre se côtoient très nettement. À l’intérieur du corps les émotions explosent par vague, les sens se brouillent, la vision se floute. Cette réflexion entre flou et netteté est portée par la scénographe et éclairagiste Juliette Chapuis. Entre opacité et transparence la scénographie rendra compte du trouble et de la désorientation du personnage. Grace aux différentes matières choisies, le public entrera dans l’intimité du personnage, traversera ses déséquilibres, ses joies, ses peurs, ses tristesses.
Il faut aussi représenter les autres, leurs regards, leurs perceptions. Michaël Pothlichet acteur et musicien travaillera sur des ambiances sonores organiques, jamais imaginées comme un accompagnement mais comme un vrai personnage. Son univers très riche se base sur la boucle et l’accumulation de sons comme dans la vie, dit-il. Notre cerveau s’habitue à un son, il croit qu’il disparait mais il est toujours là, même si on ne pense plus l’entendre, il fait partie de nous et un autre son vient par-dessus. Il faut partir de sons extérieurs réalistes, à la fois doux et rassurants mais aussi brutaux et dérangeants, des sons sourds, intérieurs qui retraceront l’état brumeux.
La notion de fête, de joie ne peut être décorrélée de ce que l’on souhaite porter au plateau, puisqu’après tout le bonheur est la quête de chacun d’entre nous, et nous le trouvons souvent dans des temps d’union, de rassemblements, de fête, d’alcool au début au moins. Cependant si notre personnage ressent une tout autre émotion dans ces moments précis, la musique doit nous le rappeler.
Très lucide sur la réalité économique et les temps réels de création, notre spectacle sera techniquement léger pour pouvoir se jouer en boite noire mais aussi hors les murs pour les collégien.ne.s et les lycéen.ne.s, les centres sociaux, les hôpitaux, les prisons etc...
Ce qui peut être vécu comme une contrainte est pour nous une chance d’aller au plus près, au plus pur de ce que l’on cherche. Ne pas se perdre dans l’autour et oublier notre sujet. La forme « hors les murs » ne doit pas être une sous forme. Il faut tout penser pour garder la force du spectacle. Spiritueux est un alcool distillé au plus près de son essence pour en garder le meilleur. À consommer sans modération.
Laurent Cazanave et Audrey Bertrand